Quel avenir pour nos forêts à Fontainebleau et en IDF ?

Interview de Marie-Stella DUCHIRON, spécialiste des écosystèmes forestiers


Le 17 novembre, l'association Sauvez la forêt de Fontainebleau a organisé avec l’École des Mines une conférence sur l’avenir de nos forêts et leur gestion, sérieusement mise en cause. En dehors des éléments de langage, et des tabous de l’administration forestière, Marie-Stella Duchiron apporte un éclairage nouveau et fondé sur ce qu’elle appelle la « sylviculture sauvage » qu’il faudrait appliquer, pour sauver nos forêts. 

Docteur en sciences forestières, ingénieure du génie rural des eaux et forêts, issue de la grande école forestière d’Europe Centrale (notamment en Allemagne), elle est depuis quarante ans, au service des écosystèmes forestiers, avec de nombreuses recherches scientifiques. 


Questions à Marie-Stella Duchiron sur l’avenir de nos forêts

PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL VILLEBEUF, ancien journaliste au Parisien et Radio France, président de l’association Sauvez la Forêt de Fontainebleau.


QUESTION 1 

En Île-de-France, la pratique de la futaie irrégulière n’est mise en place que depuis une petite dizaine d’années. Mais pas vraiment appliquée, façon forêt jardinée et plus naturelle. Et le mal est fait, car la sylviculture industrielle a auparavant banalisé nos massifs, a sacrifié le sous-étage, la couche d’humus, la diversité des essences, bouleversé les écosystèmes et donc la biodiversité. Et maintenant la repousse, notamment des feuillus, en régénération artificielle ou naturelle devient compliquée. 

Quelle solutions très concrètes peut-on proposer au gouvernement et aux gestionnaires des forêts, pour sauvegarder nos massifs et qu’ils continuent à jouer au maximum leur rôle de régulateurs de climat et de stockage de CO₂  ?


Marie-Stella Duchiron : 

«Je vais vous parler de sylviculture d'écosystème plutôt que de sylviculture en futaie irrégulière, car on a fourré sous l'expression de futaie irrégulière tous les abus possibles, tout en faisant croire au public que c'était une sylviculture écologique et bénéfique pour la forêt. 

Je préfère quelqu'un qui me parle de ces coupes rases : au moins c'est exprimé honnêtement. Tandis que celui qui parle de futaie irrégulière tout en écrémant les forêts, parle de manière fourbe. C'est ainsi que les forêts ont été gérées de manière très intensive, avec des coupes très fréquentes dans le temps, les dépouillant de leurs gros arbres et les laissant sans sous-bois. 

Des forêts dont le couvert est ainsi très clairsemé, n'ont plus de microclimat. La disparition des sous-bois expose les écosystèmes à tous les à-coups climatiques : les sols, puis les arbres, subissent un stress important par manque d’eau, l’humidité s’évaporant plus vite.

La solution est de laisser ces forêts se reposer pendant plusieurs décennies, afin qu'elles reconstituent lentement leur sous-bois de manière naturelle. Il est dans l'intérêt économique comme écologique pour un propriétaire forestier d'avoir des forêts résistantes à tous les aléas climatiques : ces forêts-là sont denses et on y coupe peu de bois mais quelques très gros arbres (pas tous !), en laissant beaucoup de gros et très gros arbres, qui rapporteront davantage financièrement  que des coupes fréquentes d'arbres de faibles diamètres. 

On y pratique des coupes dites "jardinatoires", c'est-à-dire des coupes par pied d'arbre. Le stockage de CO₂ se fait prioritairement dans les sols des forêts anciennes à haute naturalité, bien plus que dans les arbres eux-mêmes. 


On comprend ainsi aisément que l’État et les propriétaires auraient tout intérêt à ralentir les coupes et à préserver l’écosystème forestier. »



QUESTION 2

Faut-il beaucoup moins couper dans les forêts franciliennes ? Exemple en forêt de Fontainebleau, on coupe 40 000 m³ par an, pour un massif fragilisé. Faut-il drastiquement réduire de moitié la récolte ? Faut il planter en masse, les parcelles dégarnies ? Doit-on utiliser des techniques proches de la permaculture : beaucoup de mélanges d’essence, plus d’humus par un apport de broyat… etc ?


Marie-Stella Duchiron : 

«Le drame de la gestion forestière de ces forêts franciliennes (on ne peut pas parler de sylviculture mais uniquement de coupes de bois) est de ne pas intégrer l'analyse écologique des forêts avant de couper des arbres. 

On coupe des arbres pour atteindre un volume de bois à vendre et ceci de la même manière que ce soit dans les forêts sur sols riches, qu'en forêts sur sols pauvres. C'est une hérésie de pratiquer une coupe sans se soucier auparavant de la nature des sols et de leur vulnérabilité. C'est ainsi que des parcelles forestières entières ont été ruinées en forêt de Fontainebleau depuis soixante ans. 

Par ailleurs il faut souligner que toutes les forêts franciliennes jouent un tout autre rôle que celui de productrices de bois pour la vente. Ces forêts sont le poumon de Paris et la région parisienne. Il est très important qu'elles soient laissées dans un état très naturel, afin de tenir leur rôle de dépolluant de l’air. 

De plus, elles ont un rôle primordial d'accueil du public qui cherche un ressourcement et une quiétude au contact de la nature, après avoir été plongé dans un cadre urbain très déshumanisant. 


Le meilleur conseil : ne plus toucher à ces forêts et les laisser en libre évolution. Dans le cas de parcelles détruites par des coupes abusives, il faudra réfléchir à planter des espèces feuillues en respectant la dynamique naturelle : on ne plante pas des arbres d'ornement, ni des espèces exotiques, mais des arbres forestiers dont le rôle va être de reconstituer lentement les sols dégradés. 

Plus que de vouloir beaucoup de mélanges d'espèces, il faut préférer les mélanges naturels et parfois la monospécificité des hêtraies naturelles matures. Moins on touche à la forêt, mieux elle se porte. »



QUESTION 3 

Quelles sont précisément, les espèces de feuillus qu’il faut maintenant replanter en Île-de-France ? Faut il mettre en place des pépinières par forêt, pour éviter d’introduire des plants qui ne sont pas originaires de la forêt concernée ? Faut il plus travailler sur des arbres hybridés naturellement ou artificiellement ? Quelles sont les espèces qu’il faut absolument éviter : résineux, arbres exotiques ?


Marie-Stella Duchiron : 

«Par pitié, ne me parlez pas d'arbres hybridés ou de manipulations génétiques ! On n'est pas dans l'agro-ligniculture ! Ici il s'agit de reconstituer des écosystèmes dégradés par des coupes abusives. 

Il faut laisser les espèces pionnières, comme le bouleau, faire leur travail de décompactage des sols défoncés par les engins utilisés lors des coupes. Il faut observer comment la nature réagit et aller dans son sens.

A éviter absolument et sans hésitations : les conifères (ou "résineux") et les exotiques. 

L'homme a trop souvent agi comme un apprenti sorcier. Les perturbations météorologiques que nous observons à l'heure actuelle, ne permettent plus d'agir de la sorte, à défaut de quoi l'homme entraînera les forêts dans une destruction irréversible : quand un sol est détruit, plus rien ne pousse. »



QUESTION 4

À la lecture de votre analyse de la futaie irrégulière et ses défauts actuels, faut-il revoir l’enseignement de la sylviculture en France ? Faut-il imposer une vraie sylviculture jardinée ?


Marie-Stella Duchiron : 

« Il n'y a malheureusement pas d'enseignement véritable de la sylviculture en France. On réduit la sylviculture à une liste des différents types de coupes de bois en forêt. La France est le dernier pays au monde à parler de "traitement sylvicole". Or la sylviculture est une science - à laquelle est rattachée une recherche - fondée sur l'écologie de l'écosystème tout en prenant en considération des objectifs économiques

Un bon forestier est un forestier qui n’abat pas les arbres avant d'avoir analysé son écosystème. L'arbre qui est alors coupé, ne l'est plus prioritairement pour son volume mais pour le rôle qu'il joue ou non au sein de l'écosystème : son départ va-t-il perturber le fonctionnement de l'écosystème ? 

Seule une sylviculture jardinatoire, permettant d’obtenir une futaie dense et jardinée, permet d’atteindre les objectifs de préservation de l’écosystème. 

Cela dit, il est très important de laisser les propriétaires libres : pas d'idéologie ni de fanatisme, ce sont des conseils de bon sens fondés scientifiquement qui sont donnés ici. 


En revanche, dans les forêts domaniales, on devrait exiger avant tout que la fonction sociale soit privilégiée par rapport à la fonction lucrative de production de bois. »



QUESTION 5

Concernant la gestion des 25% des forêts françaises par l’Office national des forêts (ONF), ne faut-il pas redonner une nouvelle ligne directrice aux plans d’aménagement des massifs ? Faut-il mettre en place un contrôle strict de cette gestion ? Faut-il embaucher plus de forestiers et doter le tout d’un budget conséquent, sur le principe que la préservation des forêts mérite un investissement important ?


Marie-Stella Duchiron : 

« Les forêts gérées par l'ONF devraient, comme je l'ai dit précédemment, être préservées et tenues hors de la production ! 

Elles ont un rôle emblématique dans l'histoire de la France, ce sont des joyaux de la Couronne, et elles doivent être traitées comme un bijou : on ne le désintègre pas en morceaux pour faire de l’argent.

Je pense qu’il ne faut pas nécessairement davantage de forestiers, mais plutôt que les décideurs forestiers aient un profil comparable à celui d’Outre-Rhin : le plus haut niveau français d’ingénieur en sciences forestières.

Il faudrait revenir au niveau universitaire des “Eaux et Forêts” d’autrefois, alors qu’aujourd’hui, le niveau universitaire de l’enseignement forestier a été abaissé, réduit à une simple spécialisation de troisième année dans une école d’agronomie. 

De tels forestiers, qui se sont remis en question par des travaux de recherche, sont davantage capables de comprendre la portée de leurs gestes en forêt. Ce sont eux qui font avancer la science sylvicole. 


En outre, les forêts domaniales devraient être confiées à ce qui correspondrait aux anciens Conservatoires des Eaux et Forêts, et non à un EPIC (Établissement public à caractère industriel et commercial) comme l'ONF. »



QUESTION 6

Comment voyez vous la pression de la filière bois : le mirage du bois, énergie et matière soi disant renouvelable à l'infini, la pollution engendrée par les chaufferies industrielles au bois ? Ne faut-il pas expliquer au public que le bois est très précieux et qu’il faut l’utiliser avec parcimonie et que pour des besoins essentiels ? Bref, la politique bois n’est-elle pas actuellement dans une impasse ?


Marie-Stella Duchiron : 

« Le bois n'est pas une énergie renouvelable : il lui faut des années, des siècles, pour se reconstituer. Les sols sur lesquels poussent les arbres sont d'une vulnérabilité extrême : ils ne sont pas renouvelables. Tous ces paramètres sont à prendre en considération. 

Le mirage du bois n'est qu'un coup d'éclat politique. Il faut se méfier des effets de modes et de la propagande qui n'ont d'autre objectif que d'enrichir certains lobbies, en profitant de la crédulité des consommateurs. Tout est question de modération et de mesure : il faut réfléchir. 

Peut-être avons-nous oublié que nous avions un cerveau pour réfléchir... Allons voir les forêts des pays germaniques et des Balkans.  Dans ces régions, ce sont de grands forestiers qui gèrent, respectent et vénèrent leurs forêts. »



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