Chroniqueuse au Point, Sophie Coignard signe une enquête saisissante sur la forêt française et la filière bois, dans un livre intitulé « Arbres en danger ».
Partie de 250 chênes en pleine santé, abattus illégalement à Septeuil (Yvelines) et expédiés jusqu’en Chine, la journaliste remonte toute la chaîne du bois, des coupes en forêt aux circuits commerciaux opaques, et dévoile un univers où se mêlent promesses de reboisement, dérives industrielles et urgence climatique.
Ce récit, bien au-delà d’un simple fait divers, interroge notre rapport à la nature. Un plaidoyer pour une gestion des forêts fondée sur la mesure, la connaissance et le respect du vivant.
Parmi les témoignages recueillis (filière bois, scientifiques, citoyens, associations, parlementaires, représentants de l’État ...), ceux de membres de Sauvegarde Forêts Île-de-France, témoins directs des dérives observées sur le terrain et souvent invisibles pour le grand public.
🔎 Voici quelques extraits tirés du son livre :
➡️ La fièvre du bois-énergie et les trafics de bois français vers la Chine
Chaque année, près de la moitié du bois récolté en France sert à alimenter poêles, chaudières et centrales à biomasse. Présentée comme neutre en carbone, cette énergie, largement soutenue par l’État et les subventions publiques, repose sur un équilibre fragile : le CO₂ libéré à la combustion ne sera compensé par la croissance des arbres que sur plusieurs décennies, voire un siècle. Un délai rendu encore plus incertain par le dérèglement climatique. « Cette énergie dite renouvelable, pourrait à court terme, aggraver le problème qu'elle prétend résoudre. » (p.111)
« Les exportations vers la Chine sont exécrables, mais moins que le bois-énergie, qui me fait penser à un animal qui dévore la forêt avec sa grande bouche. » (p.24, Louis Vallin ARBRES)
Parallèlement, des trafics prospèrent : des parcelles pillées, des grumes revendues à la Chine, parfois avec la complaisance d’acteurs publics et privés. Selon le magazine Disclose, qui a infiltré plusieurs réseaux de commercialisation illégale, revendre à la Chine du bois provenant de forêt publique française est un jeu d’enfant. (p.20).
L’affaire de Septeuil a conduit, grâce à la vigilance de riverains, à la condamnation d’une société pour vol de bois sur pied : amendes, deux ans d’inéligibilité et trois ans d’interdiction d’exercer.
« Quand j’arrive sur place, tous les chênes sont à terre […] Au total une trentaine de parcelles appartement à des propriétaires différents qui ont été pillées […] Un camion porte-conteneurs est arrivé pour charger les grumes […] A partir de la plaque d’identité unique du camion, en quelques clics, j’ai pu suivre le long périple des chênes : d’abord transportés au port d’Anvers, puis embarqués sur le navire Cosco Shipping Libra vers Dalian, en Chine. » (p.21, Virginie Meurisse pdte Sauvons la Tournelle)
➡️ Un niveau d’exploitation soutenu et des pratiques contestables
Certaines forêts publiques d’Île-de-France se retrouvent sous tension : l’intégralité de la repousse annuelle, voire plus, est prélevée, et certaines parcelles défigurées par des coupes rases incompatibles avec la régénération naturelle et le maintien du couvert forestier, pourtant mis en place depuis 2017.
Les travaux, souvent sous-traités à des entreprises peu regardantes, laissent des sols et des parcelles abîmés et une biodiversité affaiblie.
« Un cloisonnement trop dense, ou défoncé, peut rendre les arbres plus vulnérables au vent, à la sécheresse et aux canicules, perturber la vie microbienne du sol, limiter la circulation de l’eau souterraine, augmentant le risque d’incendie. » (p.106, Sophie Durin pdte Les Amis du Bois de Verrières)
➡️ Un ONF fragilisé et sous pression
Faute de moyens suffisants, les techniciens gèrent aujourd’hui jusqu’à 1 500 hectares chacun, alors que leurs missions augmentent avec le changement climatique et les attentes sociétales. Pour équilibrer son budget, l’établissement doit s’autofinancer par la vente de bois. Un engrenage qui alimente la crainte de voir l’établissement se transformer en « usine à bois » (p.106).
➡️ Un déficit de transparence dans la gestion publique
Plutôt que de favoriser la transparence, l’administration adopte parfois une posture défensive, allant jusqu’à intimider celles et ceux qui demandent des comptes sur la gestion d’un bien commun.
« Nous avons le plus grand mal à obtenir l’information des plans de gestion, la valorisation et la destination du bois. […] J’ai reçu en juillet 2024, un RAR du service juridique me menaçant de poursuites pour perturbation des services administratifs. » (p.128, Sophie Durin pdte Les Amis du Bois de Verrières)
Arbres en danger est un appel urgent à repenser la gestion des forêts. Préserver ce bien commun : c’est la condition pour que la forêt continue à nous protéger, à nous nourrir et à nous faire respirer.
A lire, sans modération !
Quand l’enquête journalistique rejoint le combat citoyen pour nos forêts